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Protopresbytre Basile Zenkovsky

Le père Basile Zenkovsky

Auteur inconnu (DR)

Vassili (Basile) Vassilievitch Zenkovsky est né le 4 juillet 1881 (calendrier julien) dans la ville de Proskourov dans la province de Podolie. Malgré les conditions de vie assez modestes de la famille ( son père était enseignant et son grand-père prêtre), Vassili Vassilievitch et son frère ont reçu une instruction à Kiev. Toute son enfance, jusqu’à l’âge de 14 ans, « fut éclairée par la lumière de l’église ». Il chantait dans le chœur de l’église et connaissait parfaitement les offices religieux.

V.V est entré à l’université en 1900 et a étudié neuf ans, tout d’abord à la faculté des lettres et d’histoire, puis à la faculté de sciences naturelles et mathématiques de l’université de Kiev. En 1904, Vassili Zenkovsky a obliqué vers la faculté de philosophie, et a été élu professeur titulaire après la soutenance de sa thèse de philosophie « Le problème de la causalité psychique » (Kiev, 1914) qui fut une contribution importante dans les sciences psychologiques. Au fur et à mesure que V. Zenkovsky approfondissait les problèmes de la psychologie de l’enfant et la psychologie de la pédagogie, sa pensée se concentrait sur le sens théologique de la vie humaine, c’est-à-dire l’anthropologie chrétienne, qui prit une place centrale dans ses œuvres et sa vie.

En 1905, il fit la connaissance de Serge Boulgakov et rédigea avec lui le journal des socialistes chrétiens « Le peuple » qui fut fermé après sa huitième édition. Le rapprochement avec Boulgakov et avec les professeurs de l’Académie théologique de Kiev amenèrent à la création en 1905 de « la Société philosophico-religieuse Vladimir Soloviev », dont V. Zenkovsky fut le président à partir de 1911.

Vassili Vassilievitch prit part au premier congrès des clercs et des laïcs de toute l’Ukraine, lors duquel il fut élu membre du conseil épiscopal. V.V. s’intégrait petit à petit dans l’administration de l’Eglise ukrainienne, ce qui l’amena à donner son accord – sous l’insistance de ses amis et contre sa volonté – pour entrer dans le gouvernement du Hetman Skoropadsky en tant que ministre des cultes. Il qualifia plus tard cette décision comme une « erreur » témoignant de son incapacité à « construire sa vie… ne s’opposer à rien », l’amenant à se laisser porter par le destin.

Nous comprenons, tout comme ses contemporains, que c’était son talent exceptionnel, son don de communication et surtout son aspiration à servir la vérité de l’Eglise qui furent les critères pour l’affectation de V. Zenkovsky à des postes dirigeants.

Après la chute de Kiev et ensuite d’Odessa le 26 janvier 1920, Vassili Vassilievitch Zenkovsky quitta la Russie pour toujours. Il s’établit en Yougoslavie.

Il passa à Belgrade trois années assez difficiles. Tout de suite après son arrivée il fit montre de ses talents d’organisateur et créa « l’Association des savants russes en Yougoslavie ». Il commença à enseigner dans les facultés de théologie et de philosophie. A l’automne 1921, se produisit un événement qui peut sembler peu important, mais avec lequel, comme l’écrit V.V lui-même « une page toute nouvelle de ma vie fut reliée ». Un groupe d’étudiants a constitué un cercle philosophico-religieux, qui prit vite de l’ampleur et qui fut à la base de l’Action Chrétienne des Étudiants Russes (ACER). Au centre de ce cercle on trouvait la famille Zernov, un participant actif était Dimitri Klepinine, futur prêtre de l’ « Action Orthodoxe », torturé dans un camp de concentration allemand et maintenant canonisé. Des membres de ce cercle étaient de futurs professeurs de l’Institut de Théologie Saint-Serge : S.Bezobrazoff, C. Kern, N. Afanassieff et d’autres.

Le premier congrès de l’ACER eut lieu à Pcherov (Tchecoslovaquie). Le père Serge Boulgakov, G. Florovsky, A. Kartachev, L. Zander, (tous futurs professeurs de l’ITO), ainsi que P. Novgorodtsev et les secrétaires responsables L. Liperovsky et A. Nikitine prirent une part active aux travaux de ce congrès. Lors du deuxième congrès en 1924, V. Zenkovsky fut élu président à vie de l’ACER, il le resta jusqu’à sa mort, en 1962.

V. Zenkovsky possédait des qualités très précieuses pour un dirigeant : il avait une qualité particulière d’écoute, il était un conciliateur et savait rassembler tout le monde, mais le plus important était son amour de la jeunesse ; il s’efforçait d’inculquer aux jeunes la volonté d’une véritable ecclésialisation de leur vie.

Vassili Vassilievitch arriva à Paris en 1927 et y vécut 35 ans. Il fut invité à faire partie du corps professoral de l’Institut de Théologie Saint-Serge, nouvellement créé. On lui confia l’enseignement de la psychologie, de l’histoire de la philosophie, la pédagogie, l’apologétique et l’histoire de la religion. La participation de V. Zenkovsky ne se limitait pas à l’enseignement, il s’occupait de la vie courante de l’Institut et même des finances, et jouait également un rôle prépondérant dans le Conseil des professeurs. En 1944, après la mort du père Serge Boulgakov, le père Basile devint le Recteur de l’Institut.

De 1936 à 1942, V.V. Zenkovsky a été membre du conseil diocésain en tant que membre laïc, après son ordination en 1942 en tant que membre du clergé, jusqu’en 1962.

En 1939, un jour seulement avant la déclaration de la guerre, V. V. Zenkovsky fut arrêté par les autorités françaises pour une raison inconnue et conduit dans une cellule de prison, puis dans un camp où il fut interné pendant plus d’un an. Son sort fut d’ailleurs partagé par de nombreux représentants de l’émigration russe. Ces circonstances furent à l’origine de la décision de V. V. Zenkovsky de devenir prêtre. Il fut ordonné en mars 1942 par le métropolite Euloge, dans la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky et nommé au poste de vicaire du recteur de l’église de la Présentation. Il a officié avec le père Victor Yourieff en totale unité d’âmes durant vingt ans de 1943 à 1962, se complétant mutuellement et étant souvent servants l’un de l’autre.

Il n’aimait pas le faste dans les offices et de ce fait n’était pas favorable aux concélébrations. Il ne portait jamais la mitre et ne mettait le bonnet ecclésiastique (kamilavka) qu’en présence de l’évêque « pour lui et pour le peuple ». Il avait refusé de devenir évêque pour les mêmes raisons.

Le père Basile aimait prêcher et prêchait souvent. Il trouvait les mots justes et profonds, grâce à son éloquence.

Le père Alexis Kniazeff notait que le service sacerdotal du père Basile, nourri de connaissances scientifiques et culturelles, avait tracé une voie particulière dans l’histoire du pastorat orthodoxe. Cette voie de sacerdoce séculier et scientifique avait été suivie par l’historien A. V. Gorsky, puis par le père Serge Boulgakov. Les jeunes théologiens de l’Institut Saint-Serge parmi lesquels Alexandre Schmemann, Jean Meyendorff, Boris Bobrinskoy, Nicolas Koulomzine et d’autres s’étaient également engagés dans cette voie.

Une rare bonté naturelle, une attention délicate et un amour infini du prochain caractérisaient le pasteur qu’était le père Basile. Il écrivait que son rêve était « d’aimer tous les hommes sans distinction, sans souci d’intérêt ou de morale » et disait : « J’aime chaque personne dans son individualité et son originalité ; c’est mon intuition, tournée vers l’âme d’autrui. »

Le père Basile était un directeur spirituel exceptionnel. Les gens venaient se confesser à lui, formant de longues files d’attente, car il était excellent psychologue, non seulement de par sa profession et sa grande érudition, mais parce qu’il avait le don particulier de comprendre toutes les subtilités de chacun. On venait le voir avec des problèmes divers, et souvent a priori sans issue, et à chacun il s’efforçait de montrer qu’il était à l’image de Dieu, que le Royaume de Dieu lui était ouvert afin qu’il tende vers la lumière. Le père Basile ne stigmatisait personne, il s’efforçait de comprendre chacun et de lui offrir quelque chose de positif.

Il n’était donc pas étonnant de voir beaucoup de personnes venir se confesser au père Basile. Il était naturellement ouvert et affable vis-à-vis de son prochain et accueillait ses visiteurs en les appelant « mon enfant » (goloubtchik) avec son accent méridional si caractéristique. Il leur offrait toujours du thé et des petits pains. Bien qu’il fût toujours très occupé, il s’efforçait tout particulièrement d’accorder une partie de son temps aux personnes seules qui, assises dans son modeste et inconfortable petit logement, pouvaient y trouver un réconfort spirituel. Il se réjouissait également de voir une famille se former : il était toujours heureux aux mariages, aux baptêmes. Pourtant, lorsqu’il se rendait à une invitation, il ne restait pas plus d’une demi-heure, devant strictement gérer son « budget temps » dans la mesure où il travaillait seize heures par jour.

Le père Basile accordait une grande importance au rôle de la femme, considérant que la mission chrétienne n’était possible qu’avec la contribution des mères, des épouses et des sœurs. C’est ainsi que, s’étant mis d’accord avec les enseignants de l’Institut de Théologie, il avait fondé les cours féminins de théologie en 1949. Valentine Alexandrovna Zander et sa sœur Nathalie Alexandrovna Terentieff avaient entrepris d’organiser ces cours dans une salle de l’église de la Présentation. Une centaine d’auditrices avait ainsi terminé ce cycle d’études, les cours ayant été dispensés durant vingt années.

Le père Basile se considérait avant tout comme un historien. Il avait commencé à préparer l’édition de son ouvrage « Les Penseurs russes et l’Europe » en Russie et l’avait achevé en Serbie. Mais c’est à Paris qu’il avait entrepris la systématisation de son travail sur la philosophie russe, et ce à la demande insistante de ses étudiants à l’Institut de Théologie. L’édition russe de l’« Histoire de la philosophie russe » fut un événement dans la vie intellectuelle de l’émigration russe vivant hors frontières. Elle fut traduite dans les années 1948-1950 en français par C. Andronikof et en anglais par G. Klein. La parution de ce livre a élargi les contacts avec le monde savant et incité le père Basile à donner à imprimer le livre «Das Bild des Menschen in der Ostkirche» ( L’image de l’homme dans l’Eglise orientale). Pendant les dernières années de sa vie, le père Basile s’efforça de faire le bilan de ses réflexions philosophiques et d’esquisser les grands traits des « Fondements de la philosophie chrétienne ». Ce projet ne fut réalisé qu’en partie. En 1961 parut le premier tome « L’enseignement chrétien de la connaissance » (Francfort). Trois ans plus tard parut le deuxième tome « Anthropologie ». Le troisième tome « Cosmologie » est resté à l’état d’ébauche.

Le père Basile aimait le monde des idées, son intérêt pour les constructions scientifiques est en vérité inépuisable, mais la charge de ses relations sociales et les obligations du père spirituel ne lui permettaient de consacrer suffisamment de temps à la science. Il considérait ses études scientifiques comme les plus importantes et était chagriné quand les autres domaines de son activité étaient considérés comme plus importantes que la science. Possédant une érudition exceptionnelle, une capacité de travail sans pareille, pouvant lire en 4 langues, VV. Zenkovsky écrivait des articles et des monographies sur les sujets les plus divers, abordant chaque question sous le point de vue religieux. La base de la vision du monde du père Basile était le fondement religieux de toute existence » ; toute son œuvre était imprégnée de l’idée de « ecclésialisation de la vie » sous toutes ses formes. Tout le sens du rôle de la chrétienté dans l’histoire repose sur cette idée, comme l’écrit le père Basile dans l’étude consacrée à l’Orthodoxie et au monde contemporain.

L’ACER ayant été fondée sur les mêmes idées, ce n’est donc pas par hasard que le père Basile Zenkovsky était devenu président du Mouvement. Il sentait qu’il existait des liens indéfectibles entre le service de l’Église et le service de l’ACER et employait toutes les forces de l’« amour en action » pour que le Mouvement devienne une incarnation du christianisme dans sa vie créatrice et dans son obéissance à l’Église par les Sacrements. Il plaçait le principe ecclésial au-dessus du principe national.

Cependant, la grande charge de ses activités minait peu à peu la force et la santé du père Basile, et ce malgré sa grande puissance de travail et sa volonté et capacité à gérer son temps. Il avait le cœur malade. Dès le printemps 1962, sa santé ne lui avait plus permis de prendre part aux offices de l’Annonciation, de l’élévation de la Croix et de la Semaine Sainte. Cela lui était très pénible, mais il le prenait comme « une punition ou une sorte de leçon », avec humilité. En été, sa maladie empira, et, le 5 août 1962, il s’endormit dans l’éternité à 3 heures du matin, entouré de ses enfants fidèles et accompagné par le chant du Canon pascal. Ses obsèques furent très solennelles, avec la participation de représentants du patriarcat de Moscou et du Synode Hors-Frontières. L’archiprêtre Georges Florovsky prononça une allocution sur le rôle du père Basile Zenkovsky dans la pensée religieuse russe. L’archevêque Georges (Tarassoff) et l’évêque Méthode (Kuhlmann) célébrèrent l’office de funérailles en présence d’une foule nombreuse de paroissiens et de membres de l’ACER.

Le père Basile fut un guide spirituel exceptionnel de l’Orthodoxie auprès de la jeunesse russe et notre mode contemporain.